« Preuve, droit de la preuve et démocratie » - appel ouvert jusqu'au 20 octobre 2018
Numéro coordonné par Céline Roynier (Université de Cergy-Pontoise, CPJP) et Mathilde Unger (Université de Strasbourg, CEIE)
Le comité de rédaction a estimé qu’il était intéressant de reposer la question de la preuve dans le cadre de la revue Droit & Philosophie, puisque cette dernière a notamment pour ambition d’être un lieu d’approfondissement de l’étude de la délimitation réciproque du droit et de la philosophie. Or la preuve et en particulier la constitution d’un droit de la preuve ne sont-ils pas l’exemple même du travail d’une notion indissolublement juridique et philosophique, produite par la modernité?
Il existe bien évidemment une littérature relativement abondante sur la preuve, mais assez peu d’études sont véritablement transversales. La revue Droit & Philosophie propose d’envisager ce thème sous un angle renouvelé, qui interroge les rapports entre le droit, la philosophie et la démocratie : quels peuvent être, en effet, le statut et la fonction de la preuve en droit dans un régime politique pluraliste, qui met l’accent sur les procédures permettant d’accéder au « vrai » et sur les compétences de ceux qui l’énoncent plutôt que sur la véracité intrinsèque de certains faits ou sur la légitimité de principes prédéfinis ? Ou encore, quelle fonction peut avoir la preuve si les fake news ont autant de portée et d’effets que les « vraies news » ? La preuve et les structures d’un droit de la preuve disent ainsi inévitablement quelque chose de la rationalité et de la possible coexistence de plusieurs formes de rationalités. L’« hyper rationalité scientifique » n’est-elle pas, par exemple, nécessairement contrebalancée par une montée corrélative du tribunal de l’opinion, dès lors que l’on se situe dans un cadre démocratique ?
Afin de répondre à ces questions, un premier ensemble de contributions pourra précisément mettre en perspective l’« artificielle » rationalité juridique du point de vue de l’histoire du droit et de l’histoire de la pensée juridique, et éventuellement en lien avec l’histoire des sciences (le double sens de la « preuve », puisque la preuve est ce qui fait preuve, elle frappe les sens, mais elle doit être recevable, ainsi que le soulignent les empiristes comme Jeremy Bentham ; les liens qui ont pu être dégagés entre les mathématiques et la structuration d’un droit moderne de la preuve1 ou encore l’encadrement par le droit de la rumeur à travers la « commune renommée », etc.). Dans cette perspective, certaines contributions pourront également porter sur la question de l’autonomie du sens juridique de la preuve et d’un droit de la preuve – autonomie par rapport aux autres sciences humaines, autonomie par rapport aux sciences exactes – ; d’autres pourront chercher à cerner la place de la preuve dans l’argumentation juridique, tant d’un point de vue historique qu’analytique et rhétorique, ou dans tel ou tel contentieux particulier.
Un second ensemble de contributions pourra aborder la dimension temporelle du sujet, en s’intéressant par exemple au rôle de la preuve scientifique dans la résolution de différends fondés sur des actions dont les effets ne peuvent être connus avec certitude. L’usage de la preuve en droit engage ainsi une réflexion épistémologique sur la possibilité d’affirmer ou de contester ce qui n’est pas encore advenu : n’y a t-il pas lieu d’inverser la charge de la preuve lorsque les requêtes s’appuient sur des risques, qui ne sont pas à proprement parler constatables ou contestables ? Comment décrire ces arbitrages dans lesquels les intérêts qui s’affrontent s’appuient pour certains sur des prévisions par nature incertaines ? La preuve ne devient-elle alors qu’un raisonnement sans rapport avec une quelconque vérité historique ou objective ? Ou est-ce là, au contraire, un formidable terrain de développement pour la présomption qui « anticipe ce qui n’est pas prouvé »2 ? L’ensemble de ces questions mériteront également d’être posées dans la perspective de la justice prédictive.
Enfin, un dernier ensemble de propositions pourra porter sur la question d’une théorie générale de la preuve ainsi que sur les conditions d’apparition d’une telle théorie.
L’ambition de ce numéro est ainsi de faire dialoguer les perspectives de l’ensemble des juristes (privatistes, publicistes, historiens du droit) avec celles des philosophes, afin de montrer à quel point droit et philosophie sont liés dans la structuration d’un droit moderne de la preuve.
Les résumés de propositions de contribution, en français ou en anglais, devront être envoyés à l’adresse de la revue : droitphilosophie@gmail.com jusqu’au samedi 20 octobre 2018 (inclus). Leur taille ne devra pas excéder 6000 signes (espaces comprises). Ils seront accompagnés d’une bibliographie. En vue de leur anonymisation pour l’évaluation par deux rapporteurs selon le principe du double anonymat, les fichiers devront être envoyés dans un format modifiable (.doc, .docx, .odt).
(1) V. par exemple B. Shapiro, « Law and Science in Seventeenth-Century England », Stanford Law Review, 1969, vol. 21, n°4, p. 727-766.
(2) Jusqu’à preuve du contraire. A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF « Quadrige », 2010, sous « présomption ».
Calendrier
Les notifications d’acceptation ou de refus seront données d’ici le 20 novembre 2018.
Les contributions complètes et définitives seront à remettre d’ici le 1e juin 2019.
La publication numérique interviendra en novembre 2019 et la publication papier chez Dalloz est prévue au premier semestre 2020.